Les données publiques africaines : un trésor inexploité

Au cours des dix dernières années, la quasi‑totalité des pays africains ont adopté des portails d’open data ou se sont raccordés à l’Africa Information Highway (AIH) de la Banque africaine de développement, qui fédère aujourd’hui plus de 8 000 jeux de données socio‑économiques en accès libre. Pourtant, la réutilisation réelle de ces informations reste limitée : moins de 15 % des ensembles publiés font l’objet d’analyses ou d’applications citées par les gouvernements ou le secteur privé.

L’Union africaine a tenté de combler ce fossé avec son Data Policy Framework, qui encourage les États membres à considérer la donnée comme un actif de développement stratégique — au même titre que les ressources naturelles. au.int

Où en est l’open data sur le continent ?

  • 54 portails nationaux ou sous‑portails sectoriels sont actifs en 2025.

  • Plus de 30 000 jeux de données couvrent la santé, l’éducation, les infrastructures, l’agriculture ou les finances publiques.

  • Les plateformes les plus riches (Kenya, Nigeria, Ghana) publient des mises à jour mensuelles, mais une majorité d’États se limitent à des dépôts ponctuels. HumData

Santé : sauver des vies grâce aux micro‑données

Au Kenya, les ensembles DHS et HMIS mis en open data en janvier 2025 ont permis à plusieurs start‑ups de créer des cartes de chaleur de la couverture vaccinale district par district. Le ministère de la Santé les utilise pour cibler les campagnes contre la rougeole et le paludisme, réduisant de 11 % la distance moyenne jusqu’au centre de soins le plus proche dans les comtés ruraux. HumData

Éducation : planifier les écoles de demain

Les bases « School Mapping » de Côte d’Ivoire, croisées avec le recensement de 2024, aident les collectivités à anticiper les besoins en salles de classe et en enseignants. Résultat : un programme pilote a optimisé l’emplacement de 134 nouvelles écoles primaires, réduisant de 20 minutes le temps de trajet moyen des élèves en zone péri‑urbaine. HumData

Infrastructures : prioriser les investissements

Les fichiers SIG sur les routes nigérianes (catégorie, état de la chaussée, densité de trafic) sont désormais utilisés par les logisticiens pour optimiser les itinéraires et par la Banque mondiale pour hiérarchiser les projets de réhabilitation. Complétés par l’Africa Infrastructure Development Index (AIDI), ils fournissent un baromètre continental des écarts d’accès à l’électricité, à l’eau potable ou à l’internet haut débit. HumDatainfrastructureafrica.opendataforafrica.org

Pourquoi ce trésor reste‑t‑il sous‑exploité ?

  1. Qualité et formats hétérogènes : absence de métadonnées, fichiers PDF scannés, séries interrompues.

  2. Fragmentation institutionnelle : chaque ministère publie selon ses propres règles, sans guichet unique.

  3. Capacités analytiques limitées : seulement 21 % des administrations disposent d’équipes data internes.

  4. Incitations économiques faibles : manque de modèles clairs de monétisation ou de partage de valeur.

  5. Cadres juridiques incomplets : licences ambiguës, conflits entre ouverture des données et législation sur la protection des renseignements personnels. Future of Privacy Forum

Cinq pistes pour libérer la valeur

Normaliser les jeux de données

  • Mesure : adopter partout le schéma DCAT‑AP Africa pour les métadonnées.

  • Impact : rend les ensembles plus faciles à découvrir, croiser et réutiliser.

Professionnaliser les équipes publiques

  • Mesure : former un nombre d'agents à la data science et à l’usage des API d’ici 2027.

  • Impact : accélère la transformation des données brutes en décisions opérationnelles.

Stimuler l’écosystème privé

  • Mesure : financer des challenges « Open Data for Impact » dotés de prix importants.

  • Impact : fait émerger des start‑ups locales spécialisées dans la valorisation des données publiques.

Sécuriser les environnements de partage

  • Mesure : mettre en place des zones de données souveraines (edge clouds nationaux).

  • Impact : concilie transparence et protection des informations sensibles.

Partager la valeur créée

  • Mesure : instaurer un modèle freemium : données brutes gratuites, services analytiques payants.

  • Impact : assure la pérennité financière des portails open data tout en favorisant l’innovation.

Opportunités économiques et sociales

  • Agritech : corréler données pluviométriques, rendements et prix de marché pour optimiser l’irrigation et réduire les pertes post‑récolte.

  • Fin tech : utiliser les registres d’entreprises et la cartographie d’infrastructures pour évaluer le risque de crédit des PME.

  • Smart cities : combiner trafic routier en temps réel et permis de construire pour planifier les transports urbains.
    Les estimations de la BAD chiffrent à l’équivalent de 100 Md USD par an la valeur potentielle d’une exploitation efficace des données publiques à horizon 2030. Portail des données

Conclusion

Les données publiques africaines forment un gisement dont la valeur excède largement celle de nombreuses matières premières. Transformer ce trésor en développement tangible exige toutefois un réflexe data‑driven : qualité, gouvernance, compétences et partenariats. Les gouvernements disposent déjà des briques techniques ; il leur reste à créer l’environnement réglementaire et financier qui fera fleurir une nouvelle génération d’applications made in Africa, capables d’améliorer la santé, l’éducation et les infrastructures du continent.

L’heure n’est plus à publier pour publier, mais à valoriser pour transformer.

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